Les tribulations d'une serveuse

Quand on y vit depuis quelques temps, on dit souvent que Carcassonne est composée à 90% de faux-culs, de menteurs, de balances et de salopes, presque tous étant alcoolos ou accrocs à la coke, voire les deux. On peut certes le critiquer, mais aussi se poser une question: dans une ville où il n'y a strictement rien à voir ni à faire d'autre que ce que l'on n'a déjà fait le week-end d'avant, parler des autres et leur faire de coups bas est-il un loisir à part entière?

L'avantage de vivre dans une ville dont seulement le quart de la population sort le soir, c'est qu'on rencontre tout le temps quelqu'un qu'on connaît. L'inconvénient de vivre dans une telle ville, c'est qu'on ne peut pas sortir sans rencontrer quelqu'un qui nous connaît... Vous n'avez jamais connu ce vague moment d'embarras, quand une personne que vous pensez n'avoir jamais vue vient vous claquer la bise en vous demandant comment ça va? A moi, ça m'arrive tout le temps. Je me sentais très bête au début, mais j'ai appris à faire preuve de créativité depuis: "Excuse-moi, je veux pas t'interrompre mais mon ami m'attend à l'autre bout de la ville..."

Dans une grande ville comme Toulouse ou Montpellier, on peut rester plus ou moins anonyme. Dans une ville de 50 000 habitants comme Carcassonne, si tant est que vous soyez un tantinet "connu" (connu = reconnaissable, à Carcassonne), n'espérez pas danser à moitié nu sur le comptoir d'un bar du centre ville sans que toutes vos connaissances et leur entourage ne soient au courant! Ne soyez pas étonné non plus si des photos de vous toujours à moitié nu apparaissent sur le Facebook d'une personne que vous ne (re)connaissez pas. On dit que Facebook a été créé par un américain, mais je vous jure moi qu'il est l'oeuvre d'un carcassonnais ! A quoi sert Facebook sinon reluquer la vie des autres? Ah oui, à étaler notre vie tellement intéressante, j'oubliais. On dit que la culture, moins on en a plus on l'étale, comme la confiture. Ben vous savez quoi? C'est pareil pour tout le reste.

A Carcassonne, on rencontre beaucoup de gens qui disent avoir des cancers. Ils vous disent par exemple qu'ils sont chauves à cause du cancer, tout en ayant toujours refusé la chimio... Une connaissance m'a appris récemment qu'on venait de lui diagnostiquer une tumeur au cerveau. Je me suis sentie très triste pour lui, jusqu'à ce qu'une amie m'apprenne que cette connaissance lui avait dit exactement la même chose cinq ans avant. Par contre, personne n'a de maladie sexuellement transmissible, étrangement. Se faire plaindre oui, arrêter de baiser, non !

La Cité médiévale de Carcassonne, l'été, c'est un peu le Mont Saint-Michel du Languedoc Roussillon: des rues aux pavés rendus invisibles par les milliers de pieds qui les piétinent. Carcassonne est une très belle ville, célèbre dans le monde entier, patrimoine de l'UNESCO, et habilement desservie par une certaine compagnie aériennne low-cost... 

Généralement, les touristes qui arrivent à Carcassonne ne veulent voir que la Cité, ses remparts qui défient le temps, son château Comtal et ses musées ! D'ailleurs, la plupart d'entre eux ignorent qu'il existe une Carcassonne "moderne". On peut les rencontrer déambulant dans la ville basse, complètement perdus,  cherchant desespérément les remparts entre le bar de la Poste et le square Chénier... "Perdon Medemoazelle, er, leu shato s'il vos play?

- Oh, it iz not ire at all, you walk ten minoutes, you tèke ze Pont Vieux and you walk, euhhhh.... tout droit !"

S'ils ont de la chance, ils trouvent l'Office de tourisme où des gens savent vraiment parler anglais. Autrement, faute de Cité Médiévale, ils visitent la cité de la Conte... 

D'autres, tout de même, daignent descendre dans la ville basse après s'être faits plumer par les sandwicheries (hmm, le panini tout plat à 5€...), les boutiques (cool, le déguisement médiévale à 90€ fabriqué au Bangladesh !), et certains restaurants (miam, le cassoulet maison à 15€ sorti d'une boîte !). C'est là qu'ils atterrissent chez nous, les locaux... Beaucoup repartent finalement ravis de leur séjour, avec l'impression d'avoir séjourné dans une ville charmante, et de n'avoir rencontré que des gens charmants eux aussi. C'est d'ailleurs la vérité, tout le monde est gentil avec les touristes ! Ils laissent de l'argent et surtout repartent très vite chez eux.

Carcassonne et les touristes, c'est un peu comme une femme entretenue par un homme riche mais toujours en voyage...

Mais si on y regarde de plus près...

Carcassonne, le samedi soir, la plupart des bars sont ouverts, et ils sont nombreux. Si on n'aime pas picoler, trois alternatives: la télévision, le cinéma ou la console de jeux. Et encore, le cinéma du centre ne passe quasiment que des films d'auteur... autrement dit, des films chiants pour la plupart des gens. Il y a certes une salle de concert, où tous les 36 du mois on peut aller écouter un groupe relativement connu... Le théâtre? Vu ce qu'on y joue, mieux vaut regarder Koh Lanta sur TF1, au moins ça ne coûte rien d'autre que du temps... 

Qui dit de nombreux bars, dit quelques boîtes... Comme les deux qui sont en ville passent la même musique, et que la répression sur l'alcool au volant retire toute envie de fréquenter les plus éloignées, on se traîne tantôt vers l'une, tantôt vers l'autre. Tout le monde s'y ennuie affreusement mais donne toujours l'impression de s'y éclater. Je suis serveuse et parfois, barmaid. Il m'arrive de travailler la nuit, en extra. Je sais donc parfaitement de quoi je parle. Quand on travaille dans les bars, on y voit beaucoup plus de choses que quand on se contente de les fréquenter...

Le problème, c'est que quand on passe ses journées derrière un comptoir, on a de moins en moins envie de sortir boire un verre. On sait mieux que personne qu'on tombera certainement sur un cas social qui nous racontera sa vie imaginaire, un pervers frustré, une bande de jeunes complètement bourrés qui renversera tout sur son passage à commencer par notre verre, ou encore quelqu'un qu'on n'a simplement pas du tout envie de voir...